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Le blog de Thierry Schuler
12 octobre 2013

Voici une réflexion de mon ami et ancien collègue

Voici une réflexion de mon ami et ancien collègue Mark Vanderkooi, actuellement actif au Tchad depuis plus de 20 ans, dans le petit village à Chageen en pays Kwong. 

Merci à Bernard de Bezenac pour la traduction de l'anglais en français. 

La pauvreté en Afrique - Pourquoi ?

"Personne ne le conteste, l'Afrique est toujours à la traîne dans le développement économique mondial. Il est cependant difficile de se mettre d’accord sur les raisons d’un tel état de fait. L'explication de loin la plus répandue parmi les jeunes lycéens tchadiens bien habillés, c'est que c’est entièrement de la faute des colons européens, en dépit du fait qu’il s’est écoulé 53 ans depuis l'indépendance et que les économies asiatiques, avec moins de ressources et beaucoup plus de bouches à nourrir, ont réussi à s’en sortir au cours de la même période de l'histoire. Si vous posez la question à un «expert» occidental, il y a fort à parier qu’il imputera cette situation à la mauvaise gestion politique. Cette façon de voir les choses n’est pas dénuée de sens, mais un observateur attentif remarquera que la scène politique africaine n’est bien souvent qu’une scène de village africain jouée à plus grande échelle, avec plus d'argent et des armes à feu. Une scène de village qui ne va pas changer de sitôt. Mais peut-être y a-t-il une autre raison, plus profonde celle-là, aux difficultés pérennes de l'Afrique.

Revenons à la scène de village pour y regarder de plus près. Si nous écoutons La Voix de Chageen, une notice nécrologique y est lue presque tous les jours. Souvent même, durant la saison des pluies, plusieurs sont diffusées chaque jour. Chacune de ces notices nécrologiques représente peut-être 50 personnes qui, dans le cas de la fièvre typhoïde, ont vécu une semaine de terrible anxiété, ou, dans le cas d’une morsure de vipère, ont souffert 12 heures d’horreur, témoins impuissants de la vie d’un père, d’une sœur ou d’un bébé qui s’en allait. Maintenant, considérez que pour chaque notice que l’on entend, il y a peut-être 20 autres familles, de 50 personnes également, pour qui la veille s’est terminée sur une guérison, mais qui ont connu d’innombrables heures d’angoisse en se demandant comment elles feraient pour payer les médicaments, et si elles ne devaient pas entreprendre un voyage de deux jours en char à bœufs jusqu’à l'hôpital régional, auquel cas se demandant comment elles régleraient les frais de chirurgie ou de rayons X qui s’ensuivraient. L'effet cumulatif d’un tel stress généralisé et de tous les instants sur une société n'est pas difficile à imaginer.

Certes, la maladie et la mort sont des extrêmes, mais la vie normale n'est pas franchement meilleure. Le travail  agricole que pratiquent les Kwong est un véritable enfer. Nous en avons-nous-mêmes fait l’expérience, ayant passé une heure sous le soleil brûlant de l’Afrique qui se réfléchissait sur un millier de miles carrés de plaines inondées, à labourer un champ avec une petite binette, les pieds dans 30 cm d'eau infestées par les serpents, et ça nous a suffi. Mais c’est ce qu’ils font, ou à peu près, selon la saison, presque tous les jours pendant 9 mois de l'année. Et malgré leurs efforts, ils souffrent encore de la faim une grande partie de l’année, plus que ne pourrait même imaginer aucun bénéficiaire de prestations sociales en France. Pour peu que la Providence leur sourie, ils ne seront pas rendus invalides par une épine dans leurs pieds nus, leurs bœufs ne seront pas malades, il y aura assez d'eau dans leurs champs, les oiseaux ne mangeront pas le grain qui est en train de murir, les champs ne seront pas dévastés par les troupeaux des nomades et les voleurs ne fileront pas avec la récolte. D’un bout à l’autre, ils sont perplexes, ils espèrent, ils s’inquiètent comme le ferait chacun de nous — sans parler de l'enfant malade à la maison dont nous avons déjà entendu l’histoire. En un mot, la vie qu’ils mènent est extrêmement dure.

A présent, imaginez votre propre vie. Il nous est tous arrivé d’être assaillis par une accumulation  de circonstances stressantes — tensions au travail, ados dans le pétrin, réparations automobiles coûteuses, lettre de relance des impôts ou problèmes conjugaux. Qu'est-ce qui se passe alors ? Vous vous apprêtez à fermer, vous limitez les dégâts et vous adoptez une position de défensive. Vous ne pensez plus qu’à ça. Créativité, initiative et tout ce qui n'est pas strictement nécessaire passent à la trappe. Et surtout, vous ne prenez pas de risques inutiles. Vous passez en mode de survie, et c'est comme ça que vous vous en sortez.

Vous voyez le tableau. Pour une grande part l'Afrique est constituée de communautés qui, de façon constante, vivent exactement de cette manière, dans ce mode de survie engourdissant dont nous avons tous plus ou moins fait l’expérience. Aucune créativité, aucune initiative, aucune prise de risque. Les gens s’assurent seulement d’avoir assez à manger jusqu’à la prochaine année et suffisamment de réserves émotionnelles pour gérer les crises inévitables de la santé et de la mort. Selon toute vraisemblance, c’est ce qu’ils font depuis des centaines de générations. Alors vous vous demandez : qu'est-il arrivé aux éventuels Cicérons, aux Galilée et aux Gutenbergs perdus dans les ombres de l’histoire kwong ? Pourraient-ils survivre? Ont-ils survécu ? Ou se pourrait-il qu’une sorte de sélection darwinienne perverse ait balayé tous ces non-conformistes ? Nous ne le saurons jamais. Mais une chose est claire : ce n'est pas sans raison que les Africains se débattent aujourd'hui. Ils mènent une vie extrêmement dure, et ce depuis très longtemps.

L'Évangile insiste sur le fait que ceux d'entre nous qui sont nés sous des cieux plus cléments viennent en aide à ceux qui n’ont pas eu cette chance. Reste à discerner la meilleure façon de le faire. Puisse Dieu nous accorder cette grâce."   fin de citation

enfants tchadiens

 enfants tchadiens

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